mercredi 22 août 2007

• L’intérieur de mon être était parfaitement unifié - Enomiya Lassalle

Vu sur : http://climbtothestars.org/writing/psychozen/

L’intérieur de mon être était parfaitement unifié

La caractéristique la plus marquante de l’illumination semble parfois être qu’elle est une expérience de l’ordre de l’ineffable (chez Suzuki, entre autres). On ne pourra en parler que de façon détournée ou poétique. Si cette caractéristique en vient à être considéré comme un trait essentiel de l’illumination, on court le risque de postuler que si l’on parvient à en dire quelque chose, l’objet de ce dire ne peut donc en aucun cas être l’illumination elle-même. On trouve cependant malgré tout des récits d’illumination, comme celui-ci, rapporté par le Père Lassalle :

"Alors que, une nuit, j’étais plongé dans la méditation, je pénétrai soudain dans un état extraordinaire. J’étais comme mort, comme coupé de toutes choses. Il n’y avait plus ni avant ni après. L’objet (de la contemplation) et mon moi avaient disparu. La seule chose que je sentais, c’est que l’intérieur de mon être était parfaitement unifié et était rempli de tout ce qui était en haut, et en bas, et alentour. Une lumière sans limites rayonnait en moi. Après un certain temps, je revins à moi, et ce fut comme si j’étais ressuscité des morts. Ma vue, mon ouïe, mes paroles, mes mouvements et mes pensées étaient entièrement différents de ce qu’ils avaient été jusqu’alors. Lorsque j’essayai, en tâtonnant, de penser aux vérités du monde et de saisir le sens de l’incompréhensible, je compris tout. Tout m’apparut réel et clair. Sans le vouloir, je me mis à lever les mains dans une immense joie, et à danser. Et soudain je m’écriai : un million de soutras ne sont qu’une bougie devant le soleil. Merveilleux, réellement merveilleux."

Lassalle 1965, p. 31-32

Ce récit peut servir de point de départ pour tenter de dégager certaines caractéristiques de l’illumination. Tout d’abord, c’est une expérience passive, dans le sens où l’illumination est quelque chose qui nous arrive et non que l’on décide de provoquer. Le sujet se trouve dans un état où règne l’absence de discrimination : les distinctions usuelles (vie/mort, avant/après, sujet/objet, moi/environnement) n’ont plus cours, et sont remplacés par un sentiment de plénitude.

Immédiatement après cette expérience, le sujet se sent plus vivant (« ce fut comme si j’étais ressuscité des morts ») et rempli de joie. On peut dire que le rapport du sujet au monde et à lui-même est bouleversé (« ma vue, mon ouïe, mes paroles, mes mouvements et mes pensées étaient entièrement différents de ce qu’ils avaient été jusqu’alors »). Il jouit d’une compréhension totale et intuitive des vérités du monde qui lui étaient jusqu’alors inaccessibles. On notera également l’insistance de l’auteur de la description sur la différence radicale[1] entre l’avant et l’après de cette expérience.

L’illumination n’est pas nécessairement un moment unique dans la vie de l’individu. Au contraire, on présente souvent celle-ci comme une succession d’étapes.[2] Le bouddhisme zen est en outre caractérisé par une tendance à identifier nirvana et samsara (Watts 1976, p. 29), c’est-à-dire d’insister sur le fait que l’être humain est fondamentalement déjà illuminé, et que l’état après libération n’est pas fondamentalement différent de l’état avant libération. Dans un ordre d’idées similaire, les écoles zen Soto et Rinzaï[3] représentent dans les grandes lignes deux conceptions de l’illumination répandues dans le bouddhisme zen : l’illumination progressive et l’illumination subite (Watts 1976, p. 38-39).

[1] Quand l’éveil frappe à la racine première de l’existence, sa réalisation marque généralement un tournant décisif dans la vie. (Suzuki in England 2002, p. 140).

[2] « Dans les premiers temps de la pratique du zen, l’éclair de l’illumination ne s’étend habituellement guère au-delà de quelques secondes. Mais, à mesure que l’adepte avance dans la pratique, les moments d’illumination se prolongent, jusqu’au moment où le disciple atteint le satori final, celui qui dissipe en lui toute trace de doute et d’incertitude. (Watts 1976, p. 69).

[3] Dès les plus anciens temps du zen en Chine, la tendance quiétiste, tout au long de l’histoire, s’est développée à côté de la tendance intellectuelle qui insiste sur l’élément satori. Même aujourd’hui ces courants sont représentés dans une certaine mesure par l’école Soto d’une part, et l’école Rinzaï d’autre part, chacune ayant ses mérites propres. (Suzuki 1972, p. 178)

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