jeudi 11 mars 2010

• Introduction à la 'nature de l'esprit'

Kangyur Rinpoché

Pour un yogi, la réalisation de la vacuité ou éveil se fait en un instant.
Lorsqu'un maître montre la vacuité, il n'a pas besoin de mots, et si le disciple est prêt, un maître authentique peut, simplement en pointant le doigt vers le ciel, transmettre la réalisation. Le disciple sera éveillé par ce simple geste. Le maître aura montré directement la vacuité, sans utiliser le moindre mot. Il est nécessaire, pour cela, que le disciple soit prêt, qu'il soit le réceptacle  approprié à cette réalisation. Ainsi, lorsque les conditions sont réunies, un simple geste du doigt dans  la direction du ciel peut transmettre tout le sens des paroles du Bouddha. En effet, le yogi est à même de comprendre que tous les phénomènes ont la même nature que l'espace et, en un instant de compréhension, il accède à l'éveil. La réalité est ainsi, elle  a cette dimension, cette nature semblable au ciel ou à l'espace. Mais si quelqu'un nous montre le ciel du doigt et si  nous ne sommes pas le réceptacle approprié, nous verrons un avion dans le ciel, ou un arc-en-ciel, ou un nuage, mais nous ne verrons certainement pas la réalité  des choses, nous ne percevrons pas cette vacuité, parce que nous ne serons pas prêts.


Droukpa Rinpoché (vu sur le site de José le Roy)

Ce qui s’est passé ce matin-là et le lendemain fut — et au-delà — ce que l’on peut attendre ou espérer de la légende mystérieuse et fascinante qui a toujours plus ou moins entouré les lamas tibétains. Empruntant un petit balcon de bois qui faisait le tour d’une maison bien modeste, nous avons pénétré dans une pièce presque obscure et nous nous sommes assis en face de la couche couverte de tapis qui se trouve dans toutes les chambres de tous les rimpochés. Dans la pénombre, je distinguai la forme d’un homme accroupi, immobile, qui dégageait une certaine lueur, comme une espèce de vague phosphorescence, et dont les yeux paraissaient lumineux dans l’obscurité. Je me tournai vers Sonam que sa position moins loin de la petite porte rendait un peu mieux éclairé. Il regardait le lama, mais ses yeux restaient sans brillance particulière. Je me retournai alors vers Kangyur Rimpoché et revis cette même luminosité et surtout ces yeux comme allumés dans le noir. Il me regardait fixement et je sentis naître en moi puis grandir une émotion exceptionnelle, indescriptible. Je perçus seulement que Sonam quittait la pièce puis j’eus l’impression que plus rien d’autre au monde n’existait que cette présence dans l’ombre et moi-même. L’intensification et l’accélération de toute ma vie psychique, pensée et sentiments, transcendait toute expérience descriptible. Tous les souvenirs, toutes les images, tous les possibles se présentaient à la fois. J’avis dix, cent cerveaux qui fonctionnaient en même temps. Peut-être certains qui ont cru se noyer et ont raconté avoir vécu toute leur existence en quelques secondes ont-ils connu une expérience approchante. Je pouvais tenir dix raisonnements à la fois, vivre dix scènes de souvenirs (et de souvenirs oh ! combien oubliés) en même temps. Puis tout fonctionnement s’est arrêté, mais ce n’était ni l’inconscience, ni le blanc des évanouissements. La conscience, l’éveil était absolus, c’était l’expérience du vrai silence, « beyond the mind », transcendant la pensée et l’individualité, le nom et la forme, le temps et l’espace et, surtout, la dualité.


Sonam m’a dit seulement : « I saw you were in deep meditation with the guru and I left the room ». Et il m’a précisé que ce qu’il appelait ainsi « méditation avec le gourou » avait duré à peu près une heure. Désireux de confirmer mon opinion sur Kangyur Rimpoché, je convainquis Sonam de retarder notre départ d’un jour. Le lendemain matin, exactement le même phénomène se reproduisit, aussi intense, aussi prolongé et dont l’effet devait durer plusieurs jours et disparaître progressivement. Disparaître complètement ? Non, le souvenir, l’empreinte de cette expérience — ou d’autres du même ordre — sont ineffaçables. Mais il n’en reste pas moins que l’état exceptionnel, le niveau de conscience, ne sont pas durables. Tout à coup apparaît : « Je vis en ce moment une expérience sublime, miraculeuse », et tout est perdu.

Arnaud Desjardins
Le Message des Tibétains, Ed. de la Table Ronde.
(voir aussi Témoins d'Éveil, du site 3éme Millénaire)