vendredi 16 juillet 2010

• Je parle de ce qui n’a ni avant ni après - Karl Renz


Que faire pour atteindre la libération ?

Karl Renz : Personne ne répondra jamais à cette question. Tout ce que je peux dire, c’est que tout ce que tu fais ou ne fais pas ne t’aidera pas. Et c’est tant mieux. Sois heureux  que tu ne puisses pas t’atteindre toi-même par une action ou non-action, une compréhension  ou non-compréhension, quelles qu’elles soient. Dieu merci, tout ce que tu fais ou ne fais pas  est futile et ne mènera jamais à ce que tu es, halleluia ! Ce que tu es ne peux jamais être contrôlé par une compréhension relative, une action ou non-action, alors réjouis-toi.

Et ensuite ?

Ensuite ? Il n’y a rien ensuite !

Simplement continuer à vivre sa vie ?

Quelle vie ? Il n’y a pas de vie à vivre, bonté divine ! De quoi parles-tu ? Tu penses vraiment que tu as une vie ? Pierre tombale ambulante !

Pourtant Ramana Maharshi a indiqué certaines choses à faire comme l’investigation du Soi, le yoga, les chants sacrés…

Vraiment ? Il faudrait peut-être voir à qui. Peut-être répondait-il à certaines circonstances, mais en fin de compte n’a-t-il pas dit que tout ce que nous faisons ne peut pas nous faire atteindre ce que nous sommes et que jamais personne n’y arrivera ainsi. Si vous voulez un mental tranquille, oui, vous pouvez pratiquer une sadhana, une méditation, si vous voulez une existence sattvique ou harmonieuse, il y a certaines choses à faire, mais pour devenir ce que vous êtes, pff !

Ramana Maharshi a toujours fait la distinction entre vos objectifs, que vous pouvez atteindre, et vous-même qui ne peut pas être un objectif. Néanmoins, si vous voulez être riche, en bonne santé, avoir un corps solide, une belle silhouette ou quoi que ce soit, si c’est ça que vous voulez, oui, vous pouvez l’atteindre.

Toutes les techniques ne sont-elles pas simplement conçues pour consumer notre ego ?

C’est une belle idée, mais rien qu’une belle idée, qui doit être consumé par quoi ? Comment le savoir ?

Essaie, c’est ce que je dis, fais tout ce que tu peux et peut-être découvriras-tu que rien ne t’aide, Dieu merci !

Mais si…

Il n’y a pas de si dans Cela ! Tout ce qui commence par si est une fiction et tu crois en une fiction, c’est tout ; et ça commence toujours par «si, peut-être, un jour, lorsque je me fondrai dans le tout, la grâce viendra à moi pour m’emporter, si cela se passe et peut-être et peut-être…»

Quel est le problème avec le mot “coeur” ?

Parce que c’est un mot surestimé dans le sens où n’importe quelle idée de coeur détourne ton attention de ce que tu es.

Que suis-je ?

Je ne sais pas, mais pour sûr Cela ne connaît pas de coeur. Cela n’a pas besoin de coeur, de centre, de cadre, de définition de ce que ce doit être pour être ce que c’est, le coeur est juste un autre concept, c’est tout.

Mais ce sont des indications...

Certes, mais “coeur” est comme une indication spéciale, tout le monde sent : “Ah, le coeur !” Pour moi une gorgée de café est la meilleure indication. Tu ne peux pas la nommer “coeur”, tu ne peux pas boire ton coeur à petites gorgées et le nectar que tu peux boire est comme un nectar de seconde main, la douceur du coeur est une douceur de deuxième main, voilà tout. C’est pourquoi j’essaie toujours d’indiquer que, chaque fois que tu as un coeur imaginaire qui souffre ou quoi que ce soit, cela fait partie de cette réalisation de rêve et n’a rien à offrir. Parfois c’est agréable et parfois non, mais Dieu merci, personne n’en a besoin.

Tous ces concepts de coeur, ouvrir le coeur, le coeur en peine et aller au-delà, pouah ! Aussi je te dis, dépasse le coeur, oublie ce coeur de pacotille, et sois ce que tu es qui ne connaît aucun coeur, n’a besoin qu’aucun coeur se brise ni fasse quoi que ce soit.

Il semble que le coeur soit toujours le problème. Je sens que je suis le centre de l’univers, à tout moment…

C’est ce que je voulais dire, même lorsque tu es le centre de l’univers, en tant que le coeur ou un centre quelconque, la souffrance est là parce que tu te sens encore seul, tu restes le possesseur d’un coeur esseulé. Même au centre de l’univers, tu continues à te sentir seul dans ta nature, et ce n’est toujours pas ce que tu cherches, qui est ananda, la paix, ce silence qui ne peut jamais avoir le moindre problème avec un centre, ce silence qui ne sait pas qu’il existe.

Et qui a besoin de ce coeur-là ? “Moi”, encore “moi” ; en faisant du “coeur” une idole, une icône, c’est de nouveau adorer un veau d’or ; Moïse monte sur la montagne, parle à Dieu, revient et que s’est-il passé en son absence ? Les veaux d’or se sont multipliés dans le monde.

Le “coeur” est comme une de ces veaux d’or. Et l’amour, l’ouverture, l’unité, toutes ces choses ésotériques suggérant à chacun « tu dois être là où je te dis d’être, tu dois avoir un coeur ouvert, ton coeur est-il encore fermé ? Comme je te plains ! », quelle arrogance !

Il y a trois jours, tu m’as dit qu’il fallait que mon coeur se brise, pour voir que cela ne peut rien m’apporter.

Ce que je veux dire par là, c’est essaie, essaie de briser ton coeur, toutefois ce n’est pas ainsi qu’il pourra se briser. Tu ne peux pas briser ton coeur, et cela te brisera le coeur, c’est le paradoxe. Tu découvriras peut-être que, quels que soient tes efforts, tu ne pourras jamais y parvenir et c’est cela qui brise le coeur. Avoir le coeur brisé signifie réaliser qu’il n’y a pas de coeur, pas de maison, nulle part où atterrir, qu’il n’y aura jamais d’endroit que tu puisses appeler ta maison ou quoi que ce soit. C’est cela qui brise ton coeur.

Tu espères que cette maison que tu cherches sera comme le coeur, tu espères trouver un endroit où tu pourras être dans ton coeur et tout ira bien, mais tu t’aperçois que cela est encore de l’imagination, l’imagination d’une maison, quelle qu’elle soit ; tu peux y atterrir pour un temps, oui, mais ensuite tu devras la quitter. Tu vois que tout est une habitation temporaire. Alors cela brise ton idée de maison, cela brise ton coeur.

Mais ô surprise, lorsque cette idée de coeur se brise, tu es le coeur ! Mais sans connaître le coeur. Il n’y a jamais eu quoi que ce soit qui ne soit pas Cela, alors dans ce sens, tu es le coeur. Tu es la maison, mais il n’y a personne à la maison. C’est ainsi que “ton” coeur doit se briser, le coeur de la possession. Il n’y aura jamais de possesseur d’un coeur. C’est cela la déchirure du coeur. Toi qui as tout fait pour posséder ton coeur, le connaître, lorsque tu vois que jamais tu n’y parviendras, cela te brise le coeur.

J’aimerais bien que tu parles de ce qui se passe quand on quitte le mental et…

Si tu vois que tu quittes le mental, sois heureux, car tu as longtemps peiné pour arriver là.

Est-ce qu’on se sent attiré avant que ça se passe ?

Se passe ? Qu’est-ce qui se passe ? N’essaie pas d’en faire une histoire, un avant et un après, je parle de ce qui n’a ni avant ni après. Tout ce qui a un avant et un après, c’est un peu comme le salon de beauté de l’univers, tu y entres laid et tu en sors beau, il y a donc avant et après le spectacle, et cela fait aussi partie du spectacle, tout simplement, avant et après l’illumination. Ha ! Ha ! Ha ! Avant de s’ouvrir, un coeur fermé et après, un coeur ouvert. Tu vas voir des “maîtres du coeur” qui vont te faire subir une opération du coeur. Imagine ce mot, “maître du coeur”, celui qui a maîtrisé son coeur, quelle idée absurde ! Celui qui est le maître du coeur, quel esclavage ! Quelle idiotie ce genre contrôle de soi !

C’est une belle histoire mais aucune histoire ne peut t’apporter Cela. Un coeur de conte de fée, tout ce dont tu peux parler ne peut être qu’un conte de fée…

Mais je dois dire que tu ne peux pas éviter de tomber amoureux de toi-même, encore et toujours, puis vient l’idée suivante, le piège suivant, qui est parfaitement fait pour toi, et fait par toi. Tu ne peux pas y échapper ; le coeur est un de ces pièges, mais il y en a beaucoup d’autres. Et tu fais un voyage et ce voyage n’aura jamais de fin. Tu es en transe comme dans un trip de LSD, tu tombes amoureux et tu es dans la transe d’être amoureux de toi-même.

Alors cet amour t’hypnotise et tu veux te réveiller, mais tu es même hypnotisé par ton désir de te réveiller, un serpent hypnotique qui s’hypnotise lui-même. Merveilleux ! Et pas d’échappatoire ! Alors sois heureux. Cette histoire d’amour avec toi-même est comme ce dialogue, le silence amoureux de lui-même, le silence qui se réalise de toutes les manières possibles, tu ne peux pas échapper et tu es Cela. Pas d’échappatoire, alors tu dois être ce que tu es, que ton coeur sois fermé, ouvert ou quel que ce soit son état.

Alors tu dis que tu es le fantôme mais pas une personne qui est le fantôme ?

Non, non, tu es Cela et il n’y a rien d’autre que Cela. Tout le reste est de la fiction.

Tout ce que tu dis ou veux définir, même lorsque tu dis très intelligemment « je suis ce qu’est le “Je”, je suis ce qu’est le “Je suis”, je suis ce qu’est le monde », c’est déjà un concept, simplement sois ce qui est antérieur, au-delà et en dépit de tout ce que tu peux imaginer. Il n’y a jamais eu de problème pour que Cela soit. Cela est ta nature, ta nature de Bouddha, qui ne réclame jamais rien, aucune compréhension. Pour Cela, rien ne doit être ou ne pas être, pas de coeur, absolument aucun concept. Tout ceci ne peut exister qu’en présence de ce que tu es.

Sans cette présence, rien ne peut exister. Alors sois ce qui ne peut pas ne pas être, et le reste est le reste. Compréhension ou pas, tu n’en a jamais eu besoin pour être ce que tu es.

Aussi ta nature est toujours non causée, et tout ce qui a une cause, tout ce que tu peux comprendre ou non, même toutes ces histoires de différents niveaux, tout cela est de deuxième main. Réalise ce que tu es et nous en reparlons. Et réaliser ce que tu es, c’est être antérieur à toute imagination et au-delà. Cela n’a jamais eu aucun problème. Et le reste ne peut jamais t’apporter Cela que tu es. Tu peux reposer en paix. Laisse mourir tout ce qui peut mourir, et sois cette vie qui n’est jamais née et ne peut mourir d’aucune manière. Cela est ta nature et Cela tu ne peux pas ne pas l’être. Et aucun reste de compréhension, aucun monde d’ombres et d’expériences éphémères jamais ne pourra t’apporter Cela.

Extrait d’un article paru dans 3ème Millénaire et publié sur le site Ce qui Est