jeudi 20 février 2014

• La transmission de la Chose


Ce livre s’adresse aux personnes engagées dans une recherche sur la connaissance de soi. Il leur apportera une aide dans la compréhension et la réalisation de leur nature véritable avec notamment la présentation d’outils utiles, à travers la lecture de cette étude non exhaustive de l’œuvre littéraire de Stephen Jourdain.

L’expérience de l’illumination dans l’œuvre de Stephen Jourdain situe l’homme dans un contexte social et une filiation culturelle qui caractérisent l’originalité de l’auteur. L’événement déterminant la source de son inspiration y est relaté au regard de divers courants religieux. Son œuvre est appréciée à travers son style et ses différents genres d’expression littéraire toute dévolue à la transmission de la Chose.
La transcription littéraire de son expérience intérieure est comparée avec les écrits de laïcs et religieux d’origines et d’époques différentes ayant aussi été les heureuses victimes d’une grâce providentielle, mais aussi avec les écrits de spécialistes en sciences et neurosciences corroborant les intuitions de Stephen Jourdain. Ainsi nous allons des pères orthodoxes de l’ère byzantine jusqu’à Benjamin Libet en passant par sainte Thérèse d’Avila, Jakob Boehme, Tukaram, Nisargadatta, etc.
Pascal Bouyer, passionné par le thème de la mystique dans la littérature et plus spécialement par le monisme du Vedanta, avait choisi comme sujet d’étude pour son Master Recherche en Littérature Comparée Stephen Jourdain ; le livre est né de ce travail universitaire. Inconditionnel de Nisargadatta Maharaj, P. Bouyer a entretenu avec Ramesh Balsekar des échanges fructueux et déterminants pour la compréhension de son enseignement sur la non-dualité.

Extrait de l'ouvrage : 

Une synthèse atypique 

Stephen Jourdain refuse d’apposer le terme « religieux » qu’il trouve inadéquat à son expérience et « même contraire à sa nature ». Le mot « Dieu » désigné comme un objet extérieur, se situe quant à lui dans la direction opposée de la « chose » dont il parle. D’autre part, l’assimilation faite à quelque chose d’impersonnel et d’anonyme désigné parfois par un « Ça suspect, porteur de toutes les philosophies orgueilleuses et méprisantes de l’Impersonnel16 », est aussi catégoriquement réfuté car elle le différencie de l’expérience distanciée, qu’est l’expérience de l’éveil en Orient. Quant à l’appellation d’ « expérience spirituelle » qu’il accepte avec réserve, il admet qu’en tant qu’« expérience de l’esprit », concernant la « personne intérieure », on peut lui attribuer « l’étiquette « spiritualisme17 ». 
Pour Stephen Jourdain, il n’y a pas un Dieu existant à l’extérieur de soi, qu’il faudrait retrouver et dans lequel on pourrait se fondre.18 Pour lui, Dieu c’est Moi, la « personne humaine ». Et pour bien souligner le caractère très concret du terme Moi, il ne le noie pas dans une généralisation qui en pervertirait l’essence même, en le faisant précéder de l’article défini, où « Le moi » deviendrait une abstraction impersonnelle, l’antinomie de ce que représente notre âme.
Pendant trente ans, il s’est interdit d’utiliser le terme Dieu. La première fois qu’il s’est autorisé à l’employer, c’est vers 1985, dans un texte intitulé : Tom ou l’empereur du monde des mystères et non ultérieurement dans Première Personne comme il le mentionne dans son entretien retranscrit dans La parole décapante (p.30). Il ne le présente pas comme on le fait généralement en tant qu‘objet de vénération. Il devient sujet personnel. 
Sa philosophie n’a pas de connotations moralisatrices : 
« je rechigne toujours à mêler l’idée morale à mes propos ». Il ne juge pas les gens sur le statut qu’ils arborent dans leur vie civile, sur leur réussite professionnelle ou autre, ni sur les actes plus ou moins délictueux qu’ils peuvent commettre car « « L’éveil » se fiche éperdument de la forme de nos actions (…) de leur valeur morale ». Il considère tout le monde sur un pied d’égalité. La quête de l’illumination ne requiert pas d’autre part, que le postulant fasse preuve des qualités de bon « chrétien au sens habituel du terme : gentil.(…). Un croyant n’est pas gentil. (…), il n’est pas bien pensant ».24 
L’illumination n’est pas soumise à une conduite morale pas plus qu’à n’importe quelle autre loi, le terme moral étant utilisé ici dans le sens d’une « morale moralisante ». Dans ce sens, les aspirations et les conduites d’ordre terrestre ne peuvent en rien s’appliquer aux destinées de l’âme. L’éveil ne peut pas être recherché dans le but d’améliorer les conditions de vie de l’être humain ou de répondre à ses attentes car il n’est « pas pour être plus heureux, pas pour cesser de souffrir (…) Non, en aucun cas pour ». Cet opportunisme aurait l’effet contraire de le perdre à jamais.
L’éveil est un acte gratuit, désintéressé qui n’a d’autre moteur que lui-même; cependant, il est soumis à une certaine éthique, « un impératif moral absolu : faire l’ascension de notre intériorité (…) nommée esprit, jusqu’à atteindre notre essence ».26 Cette morale lui est propre et correspond à une certaine rectitude dans la façon de préparer son propre avènement.

Par certains aspects, il est proche de la pensée que reflète certains textes Zen, dont Satori correspond à la description qu’il donne de l’état d’un esprit éveillé : « l’absence de pensée »28 et dans lesquels il reconnaît la description de sa propre expérience dans : « l’aspect destructeur du zen ». Cependant, il reproche au bouddhisme zen l’absence de la prise en compte du versant humain dans l’histoire de l’illumination, qu’il retrouve par contre développé dans le dogme chrétien. Il fait donc une synthèse entre ces deux courants de pensée et ne s’offusque pas de manier à la fois des concepts religieux si différents.

Une oeuvre paradoxale 

Le paradoxe réside dans l’anticléricalisme que S. Jourdain affiche et ses multiples références conceptuelles à la religion qu’il dénonce. Il introduit aussi de la religiosité dans une expérience qu’il présentait comme athéiste et affirme que la quête de l’éveil n’est une démarche « ni sacrée ni sainte », détentrice d’aucune vertu particulière. Cependant, il s’appuie sur des principes mystiques d’une religion qu’il méconnaît et à laquelle il se réfère. Affirmant ainsi : « je ne sais pas très bien quel est le dogme chrétien », il le redéfinit, ré-explique le mystère de la trinité et se réfère au père et au fils. 
Il qualifie Dieu de « crétin, paresseux et sentencieux », mais en même temps en appelle à sa volonté et à son  « Jugement », ou s’en remet à la volonté du « Créateur ». Il communique avec les anges, artisans de la création, décrit le jardin d’« Éden » et y dénonce le péché originel.
Cependant, les ressemblances qu’il établit entre ses expériences spirituelles et les enseignements religieux issus d’une « conception chrétienne » de la théologie le gênent indubitablement et le met perpétuellement en porte-à-faux. Il était pris à la fois par le sentiment de renier l’héritage laïque et anti-clérical transmis de père en fils : « toute mon ascendance a mangé du curé et du  "Dieulepère" et le besoin de se rattacher à une tradition reflétant la réalité de son expérience spirituelle. 
Alors qu’il écarte l’idée d’une quelconque intercession d’une autorité divine dans la création des affaires du monde, dans une démonstration relevant d’enseignement d’un ordre théologique, il introduit la notion d’un Dieu, engendrant « l’âme–créature », faible dans sa nature et dans sa chair. Exposée à toutes les tentations offertes, elle succombera au « péché originel » en s’emparant du « levier créateur de son père ». La création « d’irréalité pure », produit naturel de la créature, s’est alors solidifiée « en un réel mensonger ». Il y a donc un devoir de réparation de la part de la créature, vis-à-vis du père éternel, pour le rachat d’une appropriation malhonnête et du détournement fallacieux de l’oeuvre divine ; il faut donc « faire à reculons (…) le voyage jusqu’à notre source, POUR RÉPARER ».