mardi 24 mars 2015

• Reportage Zen

Les moinillons sont assemblés dans la cour, s'efforçant d'être sages.
Un maître vénérable, de passage en ces lieux, va leur délivrer un message.
Le voici qui approche, vieillard au dos courbé, à la démarche lente.
A grand-peine, il monte sur la petite estrade pour lui aménagée.
Les moinillons se taisent, le maître va parler.
Surgit à ce moment la trille d'un oiseau. Le maître s'immobilise, le doigt levé.
Lorsque l'oiseau se tait, le vieil homme s'incline devant l'assemblée,
puis il s'en va, à pas menus, comme il était venu.



jeudi 12 mars 2015

• Le Rien - Stephen Jourdain


Causeries et discussions bastiaises
2006-2007
Extraits significatifs

Un sujet voyant sans yeux ni lumière
un objet sans apparence qui n'est autre
que le sujet voyant, se voyant.
Tel est le miracle de la conscience.
Stephen Jourdain
"Les propos de Steve Jourdain étaient d’une fulgurance à vous couper le souffle. Certes, il avait, au fur et à mesure du temps, élaboré son propre langage, mais ce qui était certain c’est qu’il n’avait copié personne. Une grammaire inédite émanait directement, comme il aimait à le souligner lui-même, de cette chose qui lui était tombée sur la tête à l’âge de seize ans."
"Sa liberté de langage révélait une pratique métaphysique de haut vol. Son discours n’avait strictement rien à voir avec toutes ces élucubrations de maîtres spiritualisants, qui aujourd’hui surgissent de toutes parts, se gargarisant de formules récurrentes qu’ils rabâchent à tour de bras. Ici, il s’agissait d’une rupture totale."
Charles Antoni
Le thème principal de ses ouvrages gravite autour de ce qu'il appelle un geste intérieur qu'il nomme également « l'éveil » :
« Je suis resté une heure ou deux éveillé, dans l’obscurité, œuvrant « l’éveil », grattant l’allumette et provoquant la flamme - qui était une même chose que le geste par lequel je la faisais brûler - et jouant un peu avec cela, je crois, avec émerveillement. Le lendemain matin, ma première pensée a été « l’éveil », et savais-je toujours faire le geste ? J’ai découvert que oui, je savais, que cette chose miraculeuse était toujours là, et qu’elle serait présente jusqu’à ma mort, car je n’oublierai jamais le geste. »


Extraits publiés avec l'aimable accord des Éditions Charles Antoni - L'Originel : 

Esprit. Être. Étonnement.

L’Esprit, unique assise et unique substance
de toute chose.
Esprit pur. Pur de quoi ? D’étendue.
Spatialiser l’esprit, c’est le crime de lèse
esprit.
L’esprit est insitué et insituable.
Entends comme brame en avril
La rame viride du bois
A. Rimbaud


Frapper à la porte de l’être. Comment ?
En s’étonnant d’être.
La culmination de l’étonnement :
l’étonnement d’être.
Pas d’étonnements mineurs, inféconds.
Tomber simplement bouche bée est un
accomplissement.
Un étonnement peut en cacher un autre.
Ci-dessous, quelques notations - rendant, je
l’espère le son léger de la drôlerie - allant dans
le sens de ce qui vient d’être dit.


La vue de l’oreille humaine me fiche un
coup ; je regarde cet entonnoir cartilagineux
sculpté de saillies et de creux, et suis saisi par
une incrédulité gréée de stupeur.
A un moindre degré, un pied, surtout nu,
me fait le même effet.
Je me découvre soudain une furieuse envie
d’en découdre sur le mystère de cet appendice
(devrais-je parler d’organe ?), glabre chez
l’homme, velu chez l’animal.


En quoi, grand Dieu, un pied - en termes
vulgaires, un panard - spectacle banal s’il en
est, usé jusqu’à la trame par une fréquentation
qu’on peut sans risque qualifier de journalière,
justifie-t-il qu’on s’ébahisse !


Et me voici creusant sous la pellicule de mon
étonnement ; tombant en arrêt devant une
interrogation qui me tarabuste depuis l’enfance.
Pas la peine de chercher bien loin pour vous
en communiquer la teneur :
Mon voisin de table vient de poser
machinalement l’un de ses pieds sur l’autre ;
par mimétisme, je l’imite ; nous voilà au coeur
de l’affaire !


Entre la sensation induite chez cet homme
par ce geste anodin, et celle que présentement
j’éprouve à mon tour, existe-t-il une différence,
même minime ?
Réponse sans affèterie ni calcul : PAS DE
DIFFÉRENCE, identité absolue des deux
sensations.


Serais-je fou depuis ce temps lointain qui me
vit passer du lait maternel au Pelargon Orange ?


L’hypothèse de ma folie doit être retenue.
Combien de fois n’ai-je pas clamé : « L’oeil de
la pensée est un oeil de verre » ; ajoutant dans la
foulée : « Un coup de pied dans la fourmilière
de la quête et de la non-quête ! »


Pour votre gouverne, sachez que dans le
passé je me suis enhardi maintes fois à soumettre
à mon interlocuteur une question plus
insidieuse et révoltante encore :
Pouvez-vous, cher Monsieur (ou cher
Ami, ou plus cavalièrement, cher Dushnok),
mettre le doigt sur ce qui pourrait distinguer
la précieuse impression que vous avez d’être
vous-même, cela même que chacun entend
par le mot moi, et cette même fondamentale
impression s’épanouissant chez votre serviteur ?
Pressentant quelque piège dans ma question,
le type s’est débrouillé pour noyer le poisson.


En vertu de quelle inconscience, de quelle
abyssale inconscience, un être s’estimant dans
la pleine possession de ses facultés, peut-il indéfiniment
faire l’impasse sur l’universalité de
l’intuition « moi » !


Si le monde tournait à l’endroit, nul doute
que nous nous inclinerions devant la primauté
de ce raptus : moi ; et obéirions à la demande
instante qu’il nous fait de le DEVENIR ; ayant
dès lors parcouru l’étrange chemin qui mène à
l’Être, nous SERIONS.


Fais le voyage jusqu’au tréfonds de l’intimité
de toi-même, et sois.


Personne, jamais, ne crédite l’autre d’une
conscience semblable à la sienne ; il n’y a donc
pas que moi qui suis fou.
La vieille dame attendrissante qui traverse la
rue en boitillant ; le malabar devant son demi,
captivé par l’exploration de ses fosses nasales ;
le bel homme vieillissant paradant à destination
d’une galerie féminine imaginaire.
Pas un seul de ces représentants de la gent
humaine qui ne perçoive en son semblable un
strict vide subjectif ; pas un sujet, un OBJET.
Comment une telle représentation de l’autre
pourrait-elle s’accompagner de compassion ?


mardi 10 mars 2015

• Qu'est-ce que l'éveil ? - Frédéric Samnidhi



Il est un temps où le regard se perd

dans l'infinité des étoiles,

 

Il est un instant où les étoiles se perdent

dans l'infinité du Regard.



lundi 2 mars 2015

• L'éternité est toujours à l'heure - Malo Aguettant


Toute la beauté de l’être humain réside dans la possibilité de s’interroger sur sa véritable nature.
L’enjeu de ce qu’il est convenu d’appeler la quête spirituelle est la croyance en un moi séparé et auteur de ses actes, croyance qui est à l’origine de la souffrance et de la nostalgie de l’unité perdue.
Tout notre malheur provient du fait que l’on s’identifie à une forme autour de laquelle l’ego se cristallise. Mais la seule chose à laquelle nous ne pouvons pas nous identifier, c’est justement notre identité. « Être » n’est pas une identité.
En amont de tout ce qui constitue le contenu d’une existence, il y a être.

Pouvons-nous nous libérer des constructions imaginaires du mental, de ce parasitage permanent, pour accéder directement à « être », c’est-à-dire à ce que nous sommes déjà ?
Il s’agit de revenir à quelque chose de très simple, mais qui n’est pas facile pour autant : l’immédiateté d’être, en amont de toute représentation de soi.
Sur le plan de l’être, il ne nous manque rien. Ici, là, maintenant, vous pouvez apprécier la qualité très particulière de cet espace vivant que vous êtes. Cet espace permet un regard sans jugement, et donne accès directement à chaque situation concrète, dans toute sa dimension et dans toute son intensité.
Il n’y a en réalité ni « ici », ni « maintenant », ni souffrance, ni éveil, sauf dans nos rêves. Le mental transforme en concept et neutralise la moindre vérité, issue d’un enseignement authentique, qui pourrait le remettre en question.
Rien ne manque à cet instant dès lors que nous sommes présent.


© Extraits publiés avec l'accord des Éditions Accarias-L'Originel

Avant de découvrir cet espace de liberté, ce que nous sommes ultimement, en amont de nos sensations, de nos émotions, de nos pensées, il est indispensable de commencer par reconnaître à quel point nous sommes déterminés par nos conditionnements, conscients ou inconscients. L’évidence s’impose alors de se donner les moyens, grâce à une vigilance incarnée, de se surprendre en flagrant délit de dépendance. Ce constat constitue un véritable choc. Tant qu’on ne l’a pas vécu, on vit dans son rêve. Si nous gardons la moindre illusion en ce qui concerne la force des déterminismes et leurs conséquences dans tous les aspects de nos existences, nous resterons prisonniers de notre mental, et aucun progrès vers la liberté intérieure, ce qu’on appelle la libération, la réalisation, ne sera possible.


En amont de tout ce qui constitue le contenu d’une existence, il y a être.
En amont de notre apparente identité, de notre nom, de notre sexe, de nos qualités et défauts, des sensations et des émotions que l’on éprouve, des pensées que l’on a, il y a être.
Un livre ne peut pas changer les événements de notre vie, mais il peut changer le regard, la perspective, à partir de laquelle nous les vivons. Si notre relation aux situations auxquelles nous sommes confrontés est différente, ces situations ne nous affecteront pas de la même manière. Nos pensées, nos émotions, ne seront plus les mêmes.
La substance même de la vie n’est que relation. Les sensations nous mettent en relation avec notre corps qui lui-même est en relation avec le monde. Nos émotions et nos pensées sont également des ensembles de relations qui interagissent avec les sensations. Il suffit donc de changer notre regard sur ces relations pour que notre expérience de la vie change radicalement. Notre vie devient ainsi la qualité d’attention que nous lui portons.
La vie, avant de se manifester dans le monde apparent des phénomènes, est elle-même attention sans attente, c’est-à-dire conscience.
Ce livre ne prétend pas parler de ce que nous sommes, mais plutôt examiner tout ce qui vient interférer avec cette conscience-être.
Il s’agit d’une enquête sur les représentations que nous nous faisons de nous-mêmes. Toutes ces images, toutes ces histoires que nous produisons à longueur de vie forment autant de filtres, d’écrans, entre ce que nous sommes essentiellement et ce à quoi nous réduisons notre vie.
D’où proviennent ces images, ces histoires ? Pourquoi apparaissent-elles avec autant d’insis tance ?
Pouvons-nous nous libérer de ce bruit de fond, de ce parasitage permanent, pour accéder directement à « être », c’est-à-dire à ce que nous sommes déjà ? Ou bien sommes-nous condamnés à passer notre vie entière sous hypnose, esclaves de nos émotions et de nos pensées ?

L’urgence de cette question constitue le sujet de ce livre.


L'ÉTERNITÉ EST TOUJOURS À L'HEURE

Tout à coup, ce matin, penché sur une églantine au bord du chemin, ce n'était plus un simple promeneur qui sentait le parfum d'une fleur mais bien plutôt l'univers entier qui respirait son propre parfum.

Une vache, longuement, m'avait regardé. Je plongeai mon regard dans le sien. Et puis, brusquement, il n'y eut plus qu'un seul regard entre nous.

Une légère brise souffla par-derrière et fit voler en éclats ce qui pouvait encore se prendre pour quelqu'un. Alors, un coucou chanta au coeur même de l'instant.

Le reste de la promenade, ce fut la routine habituelle du cosmos : le monde se déployait au feu de la conscience comme un chat qui s'étire dans un rayon de soleil pour exposer chaque millimètre de son corps.

Le promeneur de la vie se déplaçait dans le corps du monde, vibrant de conscience.

«Je» est une vitre inexistante que l'on ne connaît que par les baisers de sang de la vie, dont il est couvert de toutes parts.

C'était étrange, il y avait à la fois comme un air de deuil et d'ivresse dans l'air : une vie soumise à son image s'achevait ce matin-là. Elle avait effacé sa propre image. Quand toutes les deux se font face, il y en a toujours une de trop. Alors, il faut s'attendre au pire.

Et ce fut le chaos du monde dans toute sa splendeur. Sa beauté semblait faire signe. Mais ce qui faisait signe et ce à quoi il faisait signe étaient la même chose.

Et si, en se brûlant le corps au soleil du désir, en se brûlant le coeur au soleil de la passion, on ne cessait pas de se consumer au soleil de la conscience ?

Oui, c'est bien ça, cette incessante marée de l'oubli qui n'en finit pas d'aller et venir pour toujours, inlassablement, ramener le souvenir, non pas du passé qui n'existe pas, mais le souvenir du présent, la présence, tout simplement.

Dès le moment où l'on est dans le moment, cela s'appelle un événement. Alors, tout est à sa place. Personne ne peut faire cesser cet événement précisément parce qu'il n'y a personne dans ce moment.

Et si la vie de cet homme, qui était parti pour une simple promenade, et qui n'en reviendrait jamais, n'était que le sourire furtif que la vie se faisait à elle-même ?

C'est ainsi que, parfois, «je suis» se prend à répondre de la nécessaire futilité du monde. Dès cet instant, il est, à lui seul, la loi de gravitation universelle de l'amour.

L'éternité est toujours à l'heure. Ne la faisons pas attendre. Soyons exacts.


Blog de Malo Aguettant : Être n'est pas une identité