lundi 21 novembre 2016

• L’absorption dans le Soi a continué dès cet instant - Ramana Maharshi


Voici enfin « Self-Realisation », la vie et les enseignements de Ramana Mahârshi, la première et plus ancienne biographie sur l’un des plus grands Sages de l’Inde contemporaine. C’est un ouvrage de référence. Il fut écrit du temps du Mahârshi par Srî Narasimha Swami, l’un des anciens et proches disciples du Sage d’Arunachâla. Il vint auprès de lui dès les années vingt, période de Skandâshram, le Sage vit alors dans une grotte. Il n’y avait alors que quatre ou cinq disciples permanents auprès de lui.
Les faits marquants de sa vie, les dialogues et monologues (quand il évoque certains faits) sont de la bouche même du Mahârshi. Ce sont des inédits. Ils furent fidèlement rapportés par Narasimha Swami son disciple et biographe. Avant d’être publié il fut lu et corrigé auparavant par le Mahârshi. 
Narasimha Swami amena le Sage à évoquer avec forces détails son enfance, son expérience de la mort à Madura, son départ de la maison familiale, ses années d’ascèse au temple de Tiruvannamalai et autre, puis dans les grottes de la sainte montagne d’Arunachâla, ses rapports avec des sadhus malveillants, ses rencontres... 
L’on trouvera aussi des satsang inédits avec les tous premiers disciples occidentaux : Major Humphreys et Paul Brunton, ainsi qu’avec ses frères spirituels indiens 

Ce récit particulièrement vivant est celui d’une vie : de la quête de l’éveil. Il dépeint aussi avec véracité l’Inde rurale, traditionnelle et religieuse du XXème siècle. Le style est agréable, imagé, parfois lyrique. Il y a là une grande fraîcheur, alliée à une grande humilité et simplicité. L’humour est présent et à bon escient. Si le regard, « intelligent », est sans concession, il est aussi fort lucide, mais toujours empreint de compréhension et d’empathie. Tout le récit – quel que soit le ton adopté – tend toujours vers la réalisation du Soi.

© Extrait publié avec l'aimable accord des Éditions Accarias-L'Originel

Le bouleversement qui va survenir dans la vie de Venkataraman (le nom de naissance de Ramana Maharshi), le grand éveil qui transformera sa morne et terne vie en la plus haute réalisation, survient au milieu de l’année 1896, alors qu’il est dans sa dix-septième année – âge auquel la majorité des mystiques ont fait l’expérience de leur « conversion » ou débuté une nouvelle vie. Les changements qui surviennent dans la personne sont toujours difficiles à observer vu de l’extérieur, particulièrement s’ils surviennent chez une personne habituée à ne pas exprimer ses pensées et sentiments. Comme Venkataraman appartient à ce type et qu’il est une énigme même pour ses frères et amis, il est préférable de décrire le « changement » avec ses propres paroles. Bien après cet évènement majeur, ses disciples lui demandèrent souvent comment survint cette transformation, et ce qui suit constitue en substance ses propres paroles :
« Ce fut environ six semaines avant de quitter Madura pour accomplir mon chemin que le grand changement survint dans ma vie. Ce fut très soudain, alors que j’étais assis seul au premier étage de la maison de mon oncle. J’étais en bonne santé. Ne souffrais que rarement d’aucune maladie et dormais fort bien. Comme j’étais à Dindigul en 1891, un jour, un grand nombre de personnes frappèrent à la porte de ma chambre alors que je dormais profondément, criant et m’appelant, mais en vain. Ce ne fut qu’en entrant dans ma chambre et en me secouant fortement que je fus réveillé de mon sommeil. Ce profond sommeil était plutôt un signe de bonne santé. La nuit, j’étais aussi sujet à des phases de somnambulisme. Mes rusés compagnons de jeu n’osant pas me chahuter quand j’étais éveillé, profitaient de mon sommeil pour se jouer de moi, me bousculer, me déplacer et me ramener dans mon lit. Durant tout ce temps, je supportais tout avec constance, humilité, pardon et passivité – autant de sentiments inconnus de ma nature première. Au matin, je n’avais pas le plus petit souvenir de ce qui s’était passé la nuit. Mais ces phases de somnambulisme ne m’affaiblissaient pas davantage ou ne me rendaient pas moins apte à vivre, aussi ne pouvait-on les appeler une maladie. 
Aussi, alors que j’étais assis en ce jour et seul, en parfaite santé, une frayeur irrépressible me saisit soudain. Je me sentis sur le point de mourir. Pourquoi cette sensation ? Même maintenant, celle-ci ne peut s’expliquer par une agitation corporelle intérieure que je n’avais pas, ni trouver une explication rationnelle.
Toutefois, je ne pris pas la peine de découvrir le fondement de cette peur. Je sentais : « Je vais mourir », et commençais de penser à ce que je devais faire. Je n’envisageais pas de consulter des médecins, parents ou même amis. Je savais que je devais résoudre le problème moi-même, là, ici et maintenant.
Le choc de la peur de la mort me fit immédiatement investiguer, ou « introvertir ». Je me dis à moi-même mentalement – c’est-à-dire sans proférer les mots : « Maintenant la mort vient. Qu’est-ce que cela signifie ? Qu’est-ce qui meurt ? Ce corps meurt . » Et de suite, je dramatisai la scène de la mort. J’étendis mes membres et les tins rigides, comme si rigor mortis s’en était saisie. Je donnais au corps un air de réalité mortuaire afin de poursuivre mon investigation. Je retenais mon souffle et gardais la bouche fermée, serrant fortement les lèvres afin qu’aucun son ne s’échappe. « Ne laissons pas le mot “je” ou aucun autre être prononcé ! Bien », me dis-je à moi-même, « ce corps est mort. Il sera emporté tout raide au lieu de crémation et réduit en cendres. Mais avec cette mort du corps, suis-“je” mort ? Le corps est-il le “je” ? Ce corps est inerte et privé de vie.
Mais je sens la pleine force de ma personnalité et même le son “je” en moi-même – à part du corps. Aussi “je” suis un esprit, une chose transcendant le corps. Le corps matériel meurt, mais l’esprit le transcende et ne peut être touché par la mort. De ce fait, je suis l’esprit immortel . »Tout cela n’était pas le fruit d’un simple processus intellectuel, c’était une vérité qui m’apparut avec une grande force, quelque chose qui fut perçu immédiatement, presque sans avoir à argumenter. Le « je » était quelque chose de très réel, la seule chose réelle dans cet état, et toute l’activité consciente qui était liée à mon corps était centrée sur cela. Le « je » ou mon « Soi » retenait tout le centre de mon attention par une puissante attraction.
La peur de la mort avait totalement et à jamais disparu. L’absorption dans le Soi a continué dès cet instant et jusqu’à ce jour. D’autres pensées peuvent venir et repartir comme les diverses notes d’un musicien, mais le « Je » demeure comme la base ou la note tonique [ shruti ] fondamentale, laquelle accompagne et unit toutes les autres. Que le corps soit engagé à parler, lire ou autre, j’étais toujours concentré sur le « Je ».