vendredi 24 novembre 2017

• L’individu ne peut pas comprendre, il peut juste s’agenouiller devant l’évidence - Lorène Vergne


Lorsque j’ai rencontré Douglas j’étais encore une teenager, j’avais juste 19 ans et la chose la plus extraordinaire est que je n’avais pas vraiment de recherche spirituelle ; Je n’avais jamais fait de Yoga, de taï Chi et encore moins de méditation. Bien sûr comme tous les adolescents j’avais quelques questions existentielles, je me posais des questions sur ma place dans la vie et je n’étais pas satisfaite par le jeu du masque. Mais je n’avais jamais clairement défini ma recherche..
En tout cas je n’étais en aucun cas une chercheuse spirituelle.
C’est donc un peu par hasard (je peux quand même mettre un nom sur ce hasard, il s’appelle José Le Roy) que je me suis retrouvée dans une petite librairie du centre de Paris , dans le Marais, à écouter les propositions de Douglas Harding. Ce jour là j’ai rencontré 2 personnes qui ont été essentielles pour moi par la suite, Douglas et Catherine Harding.
Donc j’arrive dans cette petite salle en sous sol je m’assois et douglas me demande de fermer les yeux ; Je ferme les yeux et là, pour la 1ere fois de ma vie, je perçois clairement que la nature de mon esprit est un espace ouvert, et infini. C’est pour moi un grand choc.
Et cela était présenté d’une manière si simple et si directe.
Deuxième exercice : le tube.
2eme choc : aujourd’hui encore je me souviens parfaitement de visage de la femme avec qui je suis rentrée dans le tube. A nouveau je fais une incroyable découverte absolument stupéfiante : je suis dans le visage de l’autre côté du tube. Je deviens ce visage.
En l’espace d'1/2 heure je découvre le cœur de la vie spirituelle : je suis pur espace et j’ai la possibilité de m’identifier à ce que je vois.
La grande spécificité de cette voie est qu’elle offre dès le départ une remise en cause totale de notre identité. Dès le départ elle nous fait plonger au cœur du mystère de la vie. Dès le départ j’ai gouté au mystère le plus profond décrit par la mystique. En l’espace d’une heure ; et sans préparation particulière. En étant simplement ouverte aux propositions des exercieces
Le message est incroyablement radical : il s’agit d’une remise en cause totale de notre identité mais en même temps l’expérience est très très simple. C’est le 1er paradoxe. Si je devais utiliser un adjectif pour qualifier l’expérience j’utiliserais le mot paradoxe ;
Evidemment lorsque je sors de l’atelier je suis interpellée et je m’inscris au stage d’été en Ardèche au Taillé.
Là aussi l’ambiance est d’une incroyable simplicité. Nous sommes tous assis en cerle, Douglas et catherine sont au milieu de nous. Et sur la cinquantaine de personnes présentes, il y en a peut être 30 qui vivent l’ouverture au quotidien.
Donc je passe 5 jours à pratiquer les exercices. Je suis incroyablement touchée. Alain Bayod hier racontait que sa femme l’avait vu pleurer dans sa cuisine après avoir découvert l'ouverture grâce à Douglas Harding ; moi j'ai pleuré pendant le stage. Mais je ne savais pas exactement pourquoi je pleurais, j'étais juste touchée et tellement heureuse de découvrir ce message .
Ce que j'ai remarqué c’est que la part de moi qui est touchée est une part qui m’échappe. Et c’est un deuxième paradoxe de l’expérience, dans un certain sens c’est moi qui fais les expériences mais dans un autre sens je pense c’est une part presque inconsciente de moi qui est appellée.
J’exprimerais cela en disant que les exercices ne s’adressent pas à l’individualité. L’individu ne peut pas comprendre, il peut juste s’agenouiller devant l’évidence. Les exercices s’adressent directement à la conscience universelle comme une sorte d’écho. Cela échappe au langage.
Mais bien sûr en dépit de cette intuition, pendant cette semaine au Taillé, j’avis l’impression que je n’étais pas allée au bout de l’expérience, que je n’ai pas vraiment été au bout. La semaine se termine. Je pars du Taillé avec José en voiture.
Et l’Ardèche est une région montagneuse ce qui signifie que les routes tournent dans tous les sens, montent et descendent. Je commence à avoir très mal au cœur. Nous nous arrêtons à Privas pour faire une pose. Et là au moment ou je m’assoies à la terrasse d’un café je sens quelque chose de très étrange. Sur le moment je ne reconnais pas directement l’expérience. Avec nous pendant la semaine de stage il y avait un garçon qui avait l’habitude de faire toutes sortes d’expérienes psychédéliques.
Sur le moment je me dis : ce garçon a mis du LSD dans ma boisson avant que je parte. Qu’est ce qui se passe ? Et tout à coup je réalise que je n'ai plus de tête ; elle a tout simplement disparu. L’expérience est tellement concrète, tellement kinestesique que je ne l’ai pas reconnue tout de suite !
Tout ça pour dire que le début du chemin dans la Vision Sans Tête est également la fin du chemin.
Bien sûr il y a par la suite tout un processus d’intégration.
Pour ma part cela a consisté dans un 1er temps à me détacher des effets premiers de cette découverte, à me détacher de l’étonnement et du choc du début. J’ai même associé au début les virages de l’Ardèche et le mal de cœur en voiture avec la vision de ma vraie nature ! 
Comme je suis un peu lente il m’a fallu au moins deux ans pour lacher cette idée Ce genre d’idée est en fait une défense de l’ego face à l’évidence. Les premières années j’avais la volonté de retrouver les sensations et les émotions liées à l’intensité de l’expérience ; et c’est vrai que cette vision peut être extraordinaire, c’est possible ;
Voir la beauté du monde, ressentir la présence vibrante de la conscience. Tout cela en regardant un verre d’eau. Ce sont les expériences de pic. Très souvent la littérature spirituelle présente cela comme l’aboutissement de la vie sprituelle ;
Nous connaissons tous les histoires Zen avec les descriptions de satori, mais souvent les descriptions s’arrêtent là.
Mais ce n’est que le début du chemin ;
Avant l’ouverture il y avait la vie et après l’ouverture il y a la vie.
Douglas avait l’habitude de dire que c’est essentiellement une expérience de vallée et la pratique de la voie m’a fait comprendre cela. L’ouverture est là tout le temps, avec des experiences intenses ou pas. Par contre ce qui est extraordinaire dans cette voie c’est que cette experience est donnée dès le début. Dès le début nous avons la chance immense de voir que le monde est perçu à partir d’une ouverture vide de nous-même. Et nous rentrons directement dans le mystere de la présence
Après toutes ces années de pratique je sens des changements profonds dans ma vie.
Ma relation à l’ouverture a changé. Elle est beaucoup plus sereine.
 Petit à petit différentes dimensions de la psyché se rendent à l’évidence de la présence. Le "je suis" infuse sur les expériences de la vie. 
Tout d’abord je peux parler de liberté. C’est ce qui m’apparait en 1er. L’espace de la conscience est physiquement infiniment plus grand que n’importe quel autre objet du monde. Et cela débouche sur une liberté dans l’expérience
Une liberté dans la relation. Nous sommes face à espace et non pas face à face.
Vivre à partir de ma vraie nature m’a apporté beaucoup plus de liberté.
Parce que cet espace est libre.
Beaucoup plus de sérénité. Parce que cet espace sur lequel je suis construite est serein.
Plus de créativité parce que apprendre à être à l’écoute de ses pensées c’est s’ouvrir à des solutions inédites face aux difficultés de la vie. Vivre en étant attentif à l’instant présent c’est s’ouvrir à son intuition et c’est utiliser la pensée autrement en étant plus ouvert
Beaucoup plus de simplicité car vivre à partir de cette ouverture c’est avoir un support pour échapper au mental.
La simplicité ça c’est vraiment quelque chose vers lequel j’aspire à aller.
Il y a un poème qui me touche énormément c’est la huitième élégie de Rilke. Il décrit cette vision comme étant un regard animal.
Rilke nous dit :
« De tous ses yeux la créature
voit l'Ouvert. Ce qui est au-dehors nous ne le connaissons 
que par les yeux de l'animal.
Mais dès l'enfance 
on nous retourne et nous contraint à voir l'envers, 
les apparences, non l'ouvert, qui dans la vue 
de l'animal est si profond.
L’animal 
libre est toujours au-delà de sa fin: 
il va vers Dieu; et quand il marche, 
c'est dans l'éternité, comme coule une source. »

Mon objectif dans la vie est de retrouver cette simplicité animale et je sais où la trouver. Elle se trouve au dessus de nos épaules à 0 cm.
La dernière chose que je voulais partager porte encore sur le paradoxe de l’expérience : on parle souvent de désidentification.
Désidentification par rapport aux pensées, désidentification par rapport aux émotions. Dans un sens c’est vrai il y a une désidentification. Mais revenir au regard animal pour moi cela signifie également identification. L’identification je ne la perçois pas comme un obstacle. Lorsque nous sommes arrivés sur cette terre, avec notre regard de nouveau né, au contraire nous nous sommes identifiés à ce que nous voyions. A notre mère. A notre père. A ce que nous voyions autour de nous. Puis nous avons limité cette identification au petit dans le miroir. L’identification est un mouvement naturel de l’esprit humain et je pense que c’est une opportunité d’amour. Peut être que c’est finalement un mode de de relation très naturel et très ancien en nous. Quand je suis dans le tube je vois que je suis le visage de l’autre, je me reconnais en l’autre de la même façon que je me reconnais dans le miroir.